En sillonnant le grand centre commercial d’Iga Barrière à 25 km au nord-est de la ville de Bunia, le courage des femmes et des hommes, animés par un esprit d’accueil sans précédent, réjouit. Avec des motos rangées de part et d’autre de la route principale numéro 27, quelques taximen vont jusqu’à se jeter sur des passants. C’est une manière de les séduire avant de les prendre à bord de leurs engins pour des destinations diverses, selon le choix du client et sans se soucier de l’identité de l’un ou de l’autre. « Pourtant, par le passé, il était difficile ici de retrouver les membres de la communauté Hema et Lendu à bord d’un même transport en commun. Ils étaient toujours à couteaux tirés », se souvient un habitant curieux de cette ambiance.
Ce petit matin du mardi 10 octobre, l’atmosphère semble compliquer le rendez-vous que l’ONG Action pour la paix et la concorde (APC) a fixé avec certaines autorités et leaders communautaires du territoire de Djugu. La réunion est prévue pour faire une évaluation des changements induits depuis environ 21 mois par le projet soutien à la médiation pour la résilience et la paix en Ituri et au Grand Nord-Kivu, financé par l’Union européenne. Une pluie menace la région, alors que certains invités doivent venir des zones plus éloignées avec des routes impraticables. Marthe Dheve Dhessi est assistante au programme au sein d’APC. Elle s’active pour relancer des contacts avant l’heure du démarrage de la réunion. Du coup, trois chefs coutumiers font irruption dans la salle. Mouillés et avec des valises coincées dans des sacs à imperméables, ces leaders expliquent leurs motivations par l’accalmie observée dans leurs entités grâce aux activités déjà réalisées par APC. Mais la fin du projet n’est pas la bienvenue pour la plupart d’entre eux. « Nous ne pouvions pas rater cette séance. C’est l’unique occasion qui nous reste pour faire le lobbying. Ce projet ne devrait pas s’arrêter avant de cimenter toutes les actions avec le contexte de cette zone », lance d’un ton sec l’un d’entre eux.
Quelques minutes plus tard, c’est l’engouement des participants venus sans se gêner sous une fine précipitation. Dans les échanges, l’apport du projet dans une région ayant connu des violences intercommunautaires est discuté. Selon la police locale, des traces restent encore visibles avec la détention illégale d’armes par des jeunes d’autodéfenses disséminés au sein de la population.
Seules les activités du projet ont diminué la tension et renforcé la cohésion sociale entre les membres des communautés.
Pour illustrer ces avancées significatives, le coordonnateur de la société civile de la chefferie de Bahema-baguru revient sur un incident ayant touché ceux-ci, entre lesquels la confiance mutuelle se rétablit peu à peu. DINO BADINGA parle d’un éboulement enregistré à la veille de l’activité dans un carrier minier commun situé dans le secteur Walendu Djatsi. Cette zone était jadis principalement occupée par les Lendu et les Hema n’y avaient pas d’accès.
« Le 9 octobre dernier, 17 personnes des deux communautés confondues travaillant ensemble dans le carré minier dit « morgue » dans le village Lopa ont été englouties dans la terre. Parmi les victimes, 11 Hema et sept Lendu ont été sauvés de justesse grâce aux alertes et efforts coordonnés par une équipe conjointe », se félicite DINO BADINGA. Pour lui, le pire a été évité parce que les communautés ont compris l’importance de la cohabitation pacifique depuis la mise en place des mécanismes de prévention et gestion de conflit instaurés par ce projet piloté par Interpeace, APC, Pole Institute et l’Université de New York dans cette partie de la République démocratique du Congo (RDC).
Un témoignage de changement parmi plusieurs dizaines d’autres qui ont suscité la réaction des participants dans les différents groupes de discussions organisés à l’occasion. L’unique souhait exprimé par la majorité reste la poursuite des activités de dialogues et de médiations notamment entre les différents groupes armés encore actifs dans le territoire de Djugu.
Face à cette main tendue, APC s’est lancée dans une approche communautaire participative de pérennisation en s’appuyant sur les animateurs de ces structures de paix au niveau local. Ceux-ci sont répartis dans 11 entités regroupant cinq membres chacune. Et pour faciliter le réseautage des structures ou mécanismes de gestion et prévention des conflits, afin de couvrir les actions non encore touchées par le projet, APC a organisé un atelier d’urgence. L’objectif était de restructurer le mécanisme d’appui aux actions concrètes issu du processus de médiation et de dialogue.
Dans le cadre de ces assises, des communautés ont convenu de mener plusieurs actions sans attendre un quelconque soutien pour réduire les violences. Parmi celles-ci, figurent notamment la sensibilisation des groupes armés locaux, la vulgarisation de la loi foncière ainsi que le code minier.
Sur la liste, il faut citer aussi l’organisation des médiations de proximités entre les entités voisines en conflit et la tenue régulière des réunions pour faire l’évaluation interne de ce mécanisme avant de lancer une campagne de sensibilisation sur la résolution non violente des conflits. Les chefs coutumiers et autres autorités provinciales impliquées dans la recherche de la paix ont participé.